MARC HAVET, MAGIQUE
CHANTEUR, D'UN CABARET MAGIQUE...[par Jann Halexander]
Il existe une règle un
peu étrange dans le milieu du show-biz assez répandue selon
laquelle l'artiste ne parle que de lui, surtout pas des autres, ni en
bien, ni en mal. Tout au plus, il peut dire qui il écoutait quand il
était petit. J'ai un parcours brouillon dû à mon statut de
chanteur indépendant constamment sur le fil du rasoir. L'avantage,
c'est que je peux dire et faire ce que je veux également. Comme dire
le plus grand respect et la plus grande admiration que je peux
éprouver pour un chanteur. Que cela soit réciproque ou pas
m'importe peu. Moi je veux vous parler de Marc Havet.
Il est le fou chantant
du nouveau siècle. Drôle, survolté, il sait aussi se faire grave.
En prise directe avec le monde qui l'entoure, en lutte contre toutes
les intolérances, le chanteur Marc Havet est un mélodiste
talentueux. La qualité de son vaste répertoire explique sa
longévité dans un monde musical qui compte tant d'appelés, si peu
d'élus, trop de chanteurs éphémères. Le lien amical (ici, amical
n'est pas un vain mot) entre l'artiste et son public est réel, ce
public qui connaît les refrains par cœur, les chante : les
concerts de Marc Havet sont des véritables fêtes et non des moments
figés, solennels. Sieur Havet, symbole de la vitalité de la chanson
francophone, dans ce qu'elle a de meilleur. Le chanteur non seulement
chante ses œuvres mais aussi celles des autres, Brassens, Trenet
(l'autre Fou...), avec générosité.
Certains ont déploré,
peut-être à juste titre, qu'il soit si peu présent dans les
médias, aussi bien les grands médias que les médias ciblés. Et si
finalement, cet artiste, éloigné des vacarmes médiatiques avait
aussi échappé aux querelles de chapelles dans un monde musical fait
de courants, de clans ? Le public de l'artiste est très
mélangé : il compte des amateurs de rock, des amoureux de la
chanson rive gauche, des anarchistes, des bourgeoises, des retraités
non-conformes, des jeunes à l'allure sage. Ces gens qui se mélangent
se rendent régulièrement au Magique, cabaret incontournable de la
chanson française, l'un des plus vieux encore en activité, que
l'artiste dirige. Le Magique est profondément lié à ma vie
d'artiste. Je ne suis pas le seul à le dire, nous sommes quelques
uns, aux styles très différents, à avoir été soutenus,
encouragés par Marc Havet, certains, comme moi, y retournent de
temps à autre en tant que spectateurs ou pour s'y produire, par
envie et fidélité, même après avoir joué ailleurs à Paris, en
France, à l'étranger, dans des salles plus grandes. Parce que Marc
Havet, parce que l'amitié, et finalement parce qu'il y a, on peut le
dire dans tout cela, un peu de tendresse, il faut bien l'admettre...
Moi je suis Jann
Halexander, ce chanteur 'vaguement noir, vaguement blanc'. Depuis
2003, j'ai mes 'fans', qui me font sentir que j'existe – et c'est
beau- tout comme j'ai mes détracteurs (qui me traitent de chanteur
pour initiés, d'illustre inconnu, je les embrasse bien fort
aussi...). J'aime mélanger l'aigre et le doux, l'humour et le grave
et une chanson pour moi, c'est un texte + une musique. J'ai l'oreille
musicale ( merci Maman, prof de piano, entre autres). C'est en 2005
que j'ai débuté au Magique avant d'arpenter d'autres scènes à
Paris, en province, en Belgique, en Allemagne. Comme d'autres
artistes, je reste attaché au Magique.
Je dois dire qu'au
début, je ne voulais pas faire de scène. Je voulais simplement
sortir des disques, les uns après les autres, des petites
productions. Mais j'ai senti très vite que...je n'allais faire que
ça, écrire des chansons, les chanter. Que les publier sur internet,
ça n'allait pas suffire, c'est comme si une dynamique s'était
enclenchée, on ne maîtrise pas tout. Je ne voyais pas trop ce que
je pouvais faire d'autre, ce que je savais faire d'autre. J'ai
travaillé d'ailleurs à côté quelques années, il m'a fallu du
temps pour me décider à y aller franchement, dans la Chanson, l'Art
de façon plus générale.
Quand j'ai commencé, en
2003, il y avait un site, le site du Centre de la Chanson, qui
répertoriait tous les lieux chanson française de Paris (et ailleurs
aussi). Ayant des proches parisiens, et aussi parce que j'avais
tellement entendu dire autour de moi que pour vraiment se faire un
nom, même petit, dans le ''show-biz'', il fallait passer par Paris,
je me suis dit très bien, je vais chanter à Paris. C'était très
dur, au téléphone, j'appelais des lieux, les gens étaient pas
vraiment aimables, on me disait d'envoyer un dossier de presse,
j'envoyais, pas de réponse ou alors des réponses négatives.
J'ai appelé le
Magique, une femme a répondu, rauque, franche, très sympathique,
qui m'a dit de passer tel jour, pour une audition. C'était une scène
ouverte. J'avais très peu de chansons : L'Ombre Mauve,
L'Amant de Maman, Alien Mother. J'y suis allé, avec
des amis. Je ne connaissais pas du tout le quatorzième
arrondissement, mais j'ai trouvé facilement le lieu, je me suis dit
que c'était bon signe. Je suis rentré, Martine, la dame du
comptoir, m'a dit bonsoir, j'ai tout de suite reconnu sa voix, je lui
ai dit que je l'avais appelé, elle se souvenait, Marc n'était pas
encore arrivé, j'ai bu un coca, avec mon livret, pour attendre. Je
regardais autour de moi, il y avait des affiches sur les murs, avec
des chanteurs que je ne connaissais pas, dont Marc Havet. Il y avait
une atmosphère très...anachronique qui me séduisait. Marc Havet
est arrivé, il a un côté très direct, il parle très vite, je lui
ai dit que je venais pour une scène ouverte, il m' a dit et ben
c'est bien, on va voir ça, on est descendu. Je n'étais pas au bout
de mes surprises, cet escalier en colimaçon, la toute petite salle,
le vieux piano. Mais à aucun moment je ne me suis dit c'est trop
petit, je n'ai pas eu de réflexion genre 'faut bien démarrer
quelque part'. Cette salle me plaisait vraiment, j'avais envie d'y
chanter. Bon, quand même là, je n'en menais pas large, hein. Marc
Havet me demande de m'installer au piano. Je tremblais un peu. En
fait il m'intimidait, et même encore maintenant, il m'intimide. Ce
n'est pas n'importe qui. Attendre l'avis de Marc Havet pour moi dans
les années 2000, je peux dire que c'est comme un chanteur débutant
qui attend le jugement de Jacques Canetti dans les années 50. Il y a
là un homme qui chante, tient un lieu, depuis des années, on
comprend tout de suite que les artistes du dimanche, c'est pas trop
son style. J'ai chanté. Et après...et bien après je ne me souviens
plus vraiment. Inconsciemment, j'ai du mettre ça dans un coin de ma
mémoire, j'étais tellement stressé auparavant. Je me souviens
simplement que Marc m'a proposé des dates en septembre 2005. Et que
pour un début parisien, ça ne s'est pas trop mal passé, on va
dire.
Je ne pense pas qu'il
réalise à quel point je lui dois beaucoup : j'ai pu me
perfectionner au Magique, j'y ai beaucoup chanté. Il a été d'une
générosité totale, j'avais la salle à disposition, je pouvais
fixer les prix d'entrée que je voulais, je tiens vraiment à
rappeler que c'est grâce à lui que j'ai pu envisager de (sur)vivre
un peu des chansons. Et j'aime cette salle, j'y retourne volontiers
de temps à autre, en tant que spectateur, mais aussi en tant que
chanteur. Il y a des gens qui ne comprennent pas. Au début, certains
connaisseurs du milieu chanson me disaient que je perdais mon temps
au Magique, qu'il y avait des salles bien plus intéressantes, bla
bla bla. Je chante depuis 2003, et je peux vous assurer que chaque
année, des petits lieux chansons sur Paris ou ailleurs ont mis la
clé sous la porte. Le Magique est toujours là aux dernières
nouvelles, c'est tant mieux et c'est normal. Si vous décidez en tant
qu'artiste, que le sous-sol avec le piano est juste bon à faire un
'petit' concert, comme ça, genre pas trop professionnel, pourquoi
pas, mais c'est votre problème. Si vous décidez qu'après tout,
vous pouvez exploiter la salle, et donner un concert véritable,
mémorable, c'est tout à fait possible. En fait le Magique est aussi
ce que les artistes en font. J'ai souvent posé une sorte de nappe
rouge de velours rouge sur le piano, des objets décoratifs ici et
là, histoire d'en faire mon antre le temps d'un concert. Une petite
mise en scène, quoi. Et ça passe très bien. J'ai chanté dans pas
mal de salles petites et moyennes, en France, ailleurs, des théâtres,
des villas, des cabarets, des scènes en plein air, le Magique reste
l'un de mes lieux favoris, je serai très triste parce que ce lieu
aura une fin, je suppose, comme tout d'ailleurs. Ce jour-là, je
serai vraiment très très triste.
J'adore les chansons de
Marc Havet. J'ai repris C'est triste, avec un clip aussi. Cette
chanson je l'ai intégré dans mon répertoire, elle passe très
bien. Ce n'est pas facile de chanter la mort. Mais il y a pleins
d'autres chansons que je me chantonne à moi-même : les poupées
gonflables, valse manège, la terre est ronde, le roi Ubu, le cœur
d'un malade, c'est très bien écrit, mené, chanté sur des musiques
excellentes, c'est important ça les musiques, en chanson. Marc Havet
est un homme qui chante, il n' a pas peur de chanter, il ne chantonne
pas, il ne parlote pas, il ne murmure pas, il y a va franchement, il
a du coffre, pourquoi se priver ?
Je ne pense pas qu'il y
a une famille estampillée 'artistes du Magique'. Pas même un
groupe. J'y ai vu, et revu, pêle-mêle Nicolas Duclos, Vincent Ahn,
Alissa Wenz, Pascale Locquin, et tant d'autres...
Encore une fois, c'est
vraiment important de le rappeler, la salle de concert du Magique,
elle est ce que nous les artistes, en faisons, elle à nous, c'est...
chez nous. Il y a là un fort potentiel, qu'il ne faut pas hésiter à
exploiter. Enfin, j'aime parler de tout, de rien au bar, avec
Martine, en buvant du coca, du jus d'abricot. Marc, Martine, le
Magique, c'est vraiment mon monde, je m'y sens bien. Oui, vraiment,
le jour où le Magique cessera d'exister, ce sera un jour très dur
pour moi. Allez, n'y pensons pas !